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Intervention d'André Chassaigne à l'Assemblé Nationale sur l'ANI

M. André Chassaigne. C’est avec gravité que je prends la parole sur ce projet loi dit de sécurisation de l’emploi.

Pour défendre ce projet, issu de l’accord interprofessionnel du 11 janvier dernier, le Gouvernement nous a dit qu’il était historique. Il l’est, effectivement. Certes, en prétendant sécuriser l’emploi, son titre relève d’une recette éculée où l’édulcorant l’emporte sur la réalité du mets. Aussi est-il temps d’analyser les ingrédients pour dissiper la publicité mensongère qui le promeut.

Oui, ce projet de loi est un coup de poignard dans le dos des salariés. Oui, il est attendu par les agences de notation, comme le souligne Le Parisien dans son édition de ce matin. Oui, il marque une régression historique du droit du travail.

C’est pour empêcher qu’advienne ce mauvais coup qu’il est important de faire la lumière sur ce texte.

En commission, la majorité socialiste, enfermée dans la gangue du mandat impératif, a repoussé nos amendements.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Elle en a adopté certains !

M. André Chassaigne. Elle les a repoussés avec le soutien de l’UDI et de l’UMP. (Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

Malgré cette fin de non-recevoir, tous les arguments que vous avez avancés, qui sont ceux du MEDEF, sont d’ores et déjà balayés. Ils sont balayés par le débat qui se lève. Ils sont balayés par un nombre grandissant de juristes, de syndicalistes, de salariés en lutte, de citoyens engagés, de journalistes vigilants, d’économistes hétérodoxes, de militants associatifs. Ces hommes et ces femmes appartiennent à toute la gauche, à tout le camp progressiste dans sa multiplicité, loin des querelles de chapelles. Tous font le constat que vos éléments de langage ne résistent pas à l’examen. Et c’est en me faisant le relais de toutes ces voix que je veux, au nom du Front de gauche, rétablir la vérité sur ce recul sans précédent des droits des salariés.

Vous dites que ce projet de loi s’inspire d’un accord majoritaire parce que trois syndicats, c’est plus que deux. Mais cet accord est rejeté par les premier et troisième syndicats de France ! Quant à ses signataires, ils ne totalisent qu’une majorité relative de 44,7 % des suffrages. Le journal Le Monde du 14 janvier dernier titrait même : « Accord sur l’emploi : la CFDT assume son isolement sur le plan syndical ». Les organisations signataires n’osent même pas soutenir l’idée d’un front syndical majoritaire tant s’élèvent, jusque dans leurs rangs, des voix discordantes.

Pour notre part, nous défendons l’intérêt général, celui des salariés comme celui des petites entreprises écrasées par leurs donneurs d’ordres et le coût du capital.

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Nous aussi !

M. André Chassaigne. Cela nous conforte dans la conviction que faire prévaloir la négociation sur la loi est un désastre pour les droits des salariés. Cela revient à entériner le rapport de force totalement défavorable dans les entreprises, donc à donner toutes les manettes au patronat.

Vous dites que les accords de maintien dans l’emploi ne correspondent pas aux accords que voulait Nicolas Sarkozy.

M. Michel Sapin, ministre. Eh non !

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Pas du tout !

M. André Chassaigne. Pourtant, personne ne s’y trompe : il s’agissait déjà, à l’époque, de permettre la conclusion d’accords collectifs prévoyant une réduction de salaire et une augmentation du temps de travail de manière à ce que l’entreprise augmente sa compétitivité. Et le coup de Trafalgar, c’est que ces accords étaient dans le programme du candidat Sarkozy battu, mais pas dans celui du candidat Hollande élu !

M. Bernard Accoyer. C’est vrai, ça !

M. André Chassaigne. Vous arguez que de tels accords existent déjà dans les faits, comme dans les entreprises Continental ou Renault, mais, au lieu de revenir sur les entailles faites au droit du travail par la droite, vous les généralisez ! Car l’existence d’accords d’entreprise déjà défavorables aux salariés est-elle une raison de leur offrir une consécration législative alors même que le précédent de Continental a montré que cette procédure était une escroquerie ?

M. Jean-Jacques Candelier. Très bien !

M. André Chassaigne. Pour nous, il est impératif que tout accord respecte le principe de faveur, c’est-à-dire que ce soit toujours la norme la plus favorable qui s’applique aux salariés. À l’opposé de ce que vous faites, nous voulons légiférer pour empêcher que les rapports de force dissymétriques dans l’entreprise n’achèvent de pilonner le droit du travail. Ces accords, que la droite va s’empresser de voter, sont totalement déséquilibrés. Ils constituent, comme le dit Gérard Filoche, des pactes de chantage à l’emploi.

Vous dites que ce texte ne facilite pas les licenciements. Permettez-moi de citer le très libéral institut Montaigne : « Les entreprises ont obtenu l’assouplissement des procédures de licenciement. »

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. Maintenant qu’ils ont lu le texte, ils ne disent plus la même chose !

M. André Chassaigne. Ici encore, vous niez l’évidence et vous enfumez.

De plus, depuis 1945, le premier critère mobilisable contre un licenciement était un critère social : les charges familiales et les difficultés de la personne. Désormais, la compétence pourra prévaloir, jaugée par le patron, tributaire de ses appréciations personnelles. C’est un des aspects les plus graves de ce texte.

Ce n’est pas tout. Avec ce projet de loi, un plan social pourra être mis en place en vingt et un jours. En cas d’impossibilité d’accord d’entreprise, la DIRECCTE, c’est-à-dire l’administration, pourra homologuer ou non le plan social. En l’absence de réponse dans un délai de vingt et un jours, le plan social sera validé de fait.

M. Bernard Accoyer. Oh là là ! C’est l’apocalypse ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)

M. André Chassaigne. Les solutions alternatives élaborées par les salariés seront impossibles. Avec l’ANI, Fralib n’aurait pas tenu plus de 90 jours ; les salariés en sont à plus de 900 jours de lutte ! Avec ce projet de loi, aucune des luttes qui ont sauvé l’outil de travail et conduit à la victoire n’aurait pu avoir lieu, M-Real, dans l’Eure, Continentale nutrition, dans le Vaucluse, la chocolaterie de Dijon n’auraient pu être sauvés.

Vous décrivez l’intervention de la DIRECCTE comme le grand retour de l’État dans la procédure de licenciement. À vous entendre, cette procédure marquerait presque une renaissance de la planification. Quelle duperie, quand la droite elle-même reconnaît que ce dispositif répond à une demande du MEDEF, soucieux de sécuriser les procédures de licenciement ! Quitus sera donné par un coup de tampon. Ainsi, ces plans sociaux accélérés vont pouvoir se multiplier.

Croyez-vous qu’il suffise de prononcer le mot « administration » pour se blanchir des renoncements ? L’administration est déjà censée vérifier les ruptures conventionnelles. On voit bien que ce visa administratif n’a en rien empêché le million de ruptures conventionnelles qui ont eu lieu dans ce pays depuis 2008.

Ce projet facilite aussi les licenciements lorsqu’il encadre les recours aux prud’hommes, lorsqu’il réduit considérablement les délais de prescription et lorsqu’il plafonne les indemnités de dommage et intérêts.

La seule sécurisation qui est réalisée, c’est celle des employeurs !

Vous dites que ce projet de loi taxe les CDD. Mais la sur-cotisation des contrats courts relève de la tartufferie : je le dis en pesant mes mots ! Molière après Corneille, Tartuffe après les yeux de Chimène !

On estime que 80 % des CDD ne seront pas concernés : les CDD pour remplacement de salarié absent, les contrats d’usage qui existent dans 15 branches, les CDD pour les jeunes de moins 26 ans, et ceux qui feront l’objet d’autres négociations de branche par accord étendu. Pour les 20 % restants, la sur-cotisation est de 0,5 à 3 points. On passe ainsi, pour un CDD de moins de trois mois, de 14 % de taxation à 14,5 %. En quoi est-ce dissuasif pour l’employeur ?

D’autant qu’en échange de cette fausse concession, le patronat a obtenu que la signature d’un CDI par un jeune de moins de 26 ans permette de ne plus donner lieu au paiement des cotisations pendant trois ou quatre mois, ce qui correspond à la période d’essai. Ainsi, le vingt-neuvième jour du troisième mois après l’embauche, le patron pourra virer son salarié sans formalité, sans motif, et sans avoir payé ni les 10 % de taxe CDD, ni les cotisations d’assurance-chômage. Le MEDEF, lui, a fait ses comptes : la taxation des CDD coûterait 110 millions d’euros, tandis que la détaxation des CDI courts rapporterait 155 millions d’euros. Il s’agit d’un nouveau cadeau fait au patronat, un cadeau de 45 millions d’euros présenté comme une aubaine pour les salariés !

C’est une tartufferie, enfin – et surtout – parce qu’il suffira aux employeurs de rallonger le contrat d’une journée pour échapper à la taxation, ou de recourir aux contrats d’intérim qui, eux, échappent à cette taxe.

M. Jean-Jacques Candelier. C’est vrai !

M. André Chassaigne. Vous dites que sur le temps partiel subi, les avancées sont réelles. La loi fixe, pour ce qui est de la durée hebdomadaire de travail, un plancher de vingt-quatre heures. Ce plancher était jusqu’ici fixé à vingt heures hebdomadaires. Mais quasiment tout le monde passe au travers !

M. Denys Robiliard. Mais non !

M. André Chassaigne. Les moins de 26 ans ne seront pas concernés, ce qui constitue une discrimination par l’âge. Les dérogations sont de droit à la demande du salarié : il suffira à l’employeur de le demander à celui qu’il s’apprête à embaucher, et il s’affranchira de ce plancher.

Une dérogation est également prévue pour les salariés qui ont deux contrats. Enfin, il sera possible de déroger à cette règle par accord étendu pour les branches qui emploient plus de 30 % de salariés en temps partiel. En bref, 80 % à 90 % des contrats à temps partiel ne seront pas concernés par ce plancher !

Quant à la majoration des heures complémentaires de 10 % dès la première heure, c’est encore une entourloupe ! Aujourd’hui, ces heures sont majorées de 25 % dès qu’elles représentent un dixième des heures du contrat. Cette disposition dissuasive disparaît. Un temps partiel de plus de vingt-sept heures hebdomadaires gagnera moins qu’aujourd’hui. En outre, alors qu’une seule coupure par jour de deux heures maximum était autorisée, leur nombre et leur durée sont désormais ouverts. Le salaire sera lissé et l’employeur pourra faire huit paquets d’heures complémentaires par an. Les délais de prévenance, qui étaient de sept jours, et de trois jours pour certaines branches par accord étendu, seront négociés. Comment pouvons-nous entériner un tel désastre social pour les femmes, qui constituent 85 % des salariés à temps partiel ?

Vous dites que la démocratie parlementaire est respectée. À tous ceux qui nous expliquent qu’au nom du respect du dialogue social, nous, parlementaires, ne devrions pas amender ce texte, nous répondons par l’article 27 de la Constitution : « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel. »

Nous répondons aussi que législateur n’est aucunement tenu par la signature de cet accord. Même la loi Larcher du 31 janvier 2007 relative à la modernisation du dialogue social n’implique pas que le Parlement est lié par les dispositions d’un accord majoritaire entre patronat et syndicats. Le code du travail prévoit simplement que les textes législatifs et réglementaires sont rédigés « au vu des résultats de la concertation et de la négociation ». Cela signifie qu’il doit en être tenu compte.

L’argument selon lequel il ne faudrait pas toucher à ce projet de loi est non seulement antidémocratique mais n’a de plus aucune valeur juridique. J’appelle tous les députés à ne pas se laisser impressionner par les tentatives de les priver de leur mission d’écrire la loi.

Vous dites que ce projet de loi marque un progrès social. Au contraire, il marque l’aboutissement d’un processus de régression entamé en 2000 sous la houlette du MEDEF, avec la complicité active de la droite. Les dix années qui viennent de s’écouler ont été fructueuses pour le patronat : exonérations massives de cotisations sociales, inversion de la hiérarchie des normes – les accords priment la loi plutôt que l’inverse –, implosion de la durée du travail et du droit de grève, instauration de la rupture conventionnelle, attaque de notre système de retraites,…

Cette transformation massive s’est faite dans un contexte économique déjà défavorable. Il en est résulté une grande précarisation des salariés, notamment des jeunes, des seniors, des femmes et des immigrés. Or le patronat est loin d’être rassasié. D’autant que la vague européenne actuelle de liquidation des systèmes de protection sociale donne des ailes aux dominants de tous les pays. L’exemple de la Grèce est significatif.

Ce projet de loi ne marque pas un coup d’arrêt à la déréglementation que nous avons connue. Bien au contraire, il risque de faire sauter toutes les digues. Comme le dit le juriste du travail Laurent Garrouste, la « transposition de l’accord national interprofessionnel en loi signifierait une nouvelle avancée vers l’instauration d’un régime néolibéral du travail, extrêmement régressif socialement et politiquement ». Même les centrales signataires justifient aujourd’hui leur consentement à cet accord par le mauvais contexte économique qui les aurait poussées à faire des sacrifices.

Il n’y a que vous, monsieur le ministre pour oser affirmer, dans l’exposé des motifs, que ce projet s’inscrit « dans le fil du combat historique pour l’amélioration du sort des travailleurs. »

M. Michel Sapin, ministre. Eh oui ! Voulez-vous que je le répète ?

M. André Chassaigne. C’est incroyable ! Quel cynisme ! Irez-vous, si ce texte est adopté, jusqu’à chanter l’Internationale ?

M. Bernard Accoyer. Malaise dans la majorité !

M. André Chassaigne. Chers camarades, je ne peux résister au plaisir de vous rappeler les paroles d’un membre du bureau national du Parti socialiste, prononcées il y a une semaine devant cette instance : « Depuis quatre-vingts ans, quand on regarde ce qu’a fait la gauche en 1936, en 1945, en 1981, en 1997, cette loi est la pire loi réactionnaire contre le droit du travail… Jamais vu ça ! », disait-il. « Personne ne pourra la défendre, personne d’ailleurs, déjà, ne la défend sérieusement. C’est un coupe-gorge que de la transcrire. »

Dans vos propres rangs, l’indignation monte, et c’est pour éteindre cet incendie que vous employez ces extincteurs sémantiques ! Mais les gens sauront tôt ou tard ce que contient réellement ce funeste projet de loi. Les salariés l’apprendront au moment où, dans les entreprises, les accords se mettront en place, sous la férule de patrons trop heureux de profiter des effets d’aubaine et de pressurer les syndicats, à l’heure où le chômage connaît des niveaux records et le pouvoir d’achat une baisse historique. La population se rendra alors compte du contenu de ce texte.

C’est pour déjouer cette mécanique infernale que nous nous engageons, pour inverser la vapeur et pour rappeler la gauche à ses engagements et à ses valeurs. Nous vous proposons d’examiner ce projet de loi d’une autre manière, d’une manière constructive, où chacun accepte pleinement sa charge de législateur. Nous abordons ce débat avec la ferme intention de défaire ce texte : tel sera le sens des propositions concrètes et concertées que nous avancerons. Pour cela, chers collègues, ouvrons ensemble les brèches nécessaires !

Pour notre part, nous, députés du Front de gauche, inébranlables, fidèles au mouvement social, à la défense des salariés et à notre projet de transformation de la société, qui est plus que jamais nécessaire, avons clairement choisi. Nous refusons les régressions sociales, et assortissons ce refus de dizaines de propositions pour sécuriser vraiment l’emploi. Dans ce combat, nous savons que nous ne sommes pas seuls, dans cet hémicycle comme ailleurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

M. Jean-Marc Germain, rapporteur. C’était un peu caricatural, monsieur Chassaigne !

Un député du groupe SRC. Juste un peu ! (Sourires.)

M. André Chassaigne. Démontrez donc que ce que j’ai dit est faux !

(…)

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Intervention d'André Chassaigne à l'Assemblé Nationale sur l'ANI

Par André Chassaigne, le 06 avril 2013

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